10 février 2022
Ces derniers temps, en France, la production viticole et fruitière a été affectée presque chaque année par les gelées de printemps. comment s’adapter à cette évolution à court, moyen et long terme ?
9 minutes
Par: Jean-Baptiste ORNON, Agronome chez AXA Climate, jeanbaptiste.ornon@axa.com et Christelle CASTET, Climatologue chez AXA Climate, christelle.castet@axa.com
2017, 2019, 2020, 2021… Ces derniers temps, en France, la production viticole et fruitière a été affectée presque chaque année par les gelées de printemps, avec des dégâts hétérogènes parfois très localisés, comme en 2019 en Normandie ou en 2020 dans la vallée du Rhône, parfois sévères et de plus grande ampleur, comme en 2017 et 2021.
En 2021, les gelées de printemps ont été particulièrement préoccupantes en raison de leur impact global, affectant la quasi-totalité des vignobles et des cultures fruitières français (1)(2)(3). Celles de 2021 ont également été inhabituelles en raison de la forte baisse es températures qui a succédé à des records de chaleur ; le 31 mars 2021, plusieurs records de température ont été battus dans toutes la France (26°C à Paris, 27,7°C au Cap Ferret, 26,3°C à Strasbourg ...), suivis partout sur le territoire par des records de basses températures le 8 avril (-5°C à Orléans, -4.3°C à Salon de Provence, -2,1°C à Montauban ...). Du jamais vu depuis 1947 ! (4)
De nombreux professionnels et institutions s’interrogent sur ces variations extrêmes de température, ainsi que sur ces épisodes récurrents de gelées de printemps :
Les températures hivernales s’élèvent en raison du changement climatique, impactant le cycle végétatif des plantes et accélérant leur croissance. La phénologie des plantes, c'est-à-dire les phases successives de leur développement (dormance, éclosion des bourgeons, apparition des feuilles, des fleurs, des premiers fruits, etc.) est elle aussi modifiée, rendant les végétaux plus précocement sensibles au gel.
Ces perturbations phénologiques dépendent des différents types de culture et des répercussions locales du changement climatique, mais elles rendent les plantes beaucoup plus vulnérables vis-à-vis des gelées. En effet, à une date donnée et face à un risque identique de gelées, les cultures ont souvent atteint un stade de croissance qui les rend particulièrement sensibles, voire même plus fragiles que jamais. (Pour en savoir plus sur les stades phénologiques et sur leur importance pour mieux comprendre et combattre les effets du changement climatique.)
Par exemple :
S’appuyant sur différents modèles, tels que STICS ou BHV, plusieurs études agronomiques ont également démontré le lien très fort existant entre l’évolution de la température et l’avancement des stades phénologiques, notamment dans le domaine de la viticulture (5). Ces modèles climatiques prévoient une augmentation de la température moyenne et, par conséquent, un débourrement précoce rendant les vignes et les arbres fruitiers plus vulnérables face à des gelées de printemps de plus en plus prématurées.
En Bourgogne, par exemple, l’évolution du climat a déjà avancé le moment de l’éclosion des bourgeons de 7 jours entre 1987 et aujourd’hui (6). Une étude récente sur l’impact du changement climatique et les stratégies d’adaptation dans le domaine de la viticulture française révèle par ailleurs que dans la région bordelaise, le débourrement pourrait être avancé de près d’un jour par décennie d’ici 2100 (selon le scénario RCP8.5, le plus pessimiste concernant les émissions de gaz à effet de serre), environ 2,5 jours par décennie à Colmar et jusqu’à 2 ;8 jours à Avignon (LACCAVE (7)).
Le réchauffement climatique diminue la fréquence des vagues de froid et des épisodes de températures négatives. D’après le dernier rapport du GIEC (8), cette tendance devrait se poursuivre, jusqu’à la disparition totale de ces vagues de froid d’ici la fin du siècle. En Europe, cette tendance à la baisse est plus marquée dans les régions septentrionales et en altitude, comme le montre la carte ci-dessous, qui illustre la diminution du nombre de jours de gelées printanières d’ici 2050 en fonction d’un scénario moyen d’émissions de GES (RCP 4.5).
Malgré cette diminution partout en Europe, les vagues de froid printanières ne vont pas disparaître dans l’immédiat. Le changement climatique est également lié à l’affaiblissement du vortex polaire, cette zone de basses pressions et d’air froid autour du pôle. Comme nous l’expliquions déjà l’année dernière dans un article concernant les vagues de froid au Texas, cette baisse d’activité hivernale du vortex polaire provoque un jet stream qui déplace vers le sud les masses arctiques d’air froid.
Figure 1 : Diminution du nombre de jours de gelées de printemps en 2050 (RCP4.5) par rapport à 1981-2010 (IPCC WGI Interactive Atlas: Regional information)
De très nombreuses cultures sont affectées par les effets de ces gelées de printemps. Les arbres fruitiers et les vignes, entre autres, peuvent subir une baisse de leur niveau de production, mais aussi de leur qualité. Après l’épisode de gel de 2021, l’organisme français de statistiques AGRESTE a livré ces chiffres moyens pour la France (9) (10) (11) :
A présent que l’on cerne mieux les risques liés aux gelées de printemps et leurs évolutions, chacun peut désormais élaborer une stratégie d’adaptation face à ce phénomène.
Ces solutions, qui consistent surtout à mettre en place des moyens de protection contre le gel (éoliennes, câbles chauffants, bougies, systèmes d’arrosage…), nécessitent des investissements importants et un bon dimensionnement des outils et de leurs limites, notamment en regard de l’évolution future du climat.
Une réponse concrète pourrait consister à installer 300 bougies par hectare pour protéger les cultures contre des températures jusqu’à -4°C, et 500 bougies pour descendre jusqu’à -6°C ; des pulvérisations d’eau régulières pourraient permettre de protéger les cultures contre des températures jusqu’à -7°C, mais cette solution nécessite d’importants volumes d’eau (12).
Ces systèmes exigent énormément de travail pour rester opérationnels sur le long terme. Une surveillance est nécessaire 24h/24 pour pouvoir déclencher le processus en temps voulu, parfois même en allumant les bougies en pleine nuit.
Les moyens de défense contre les gelées de printemps doivent donc être multidimensionnels. Des solutions pratiques doivent venir à l’appui des études de risque effectuées en amont ou des assurances en aval. Des solutions de financement peuvent, ensuite, aider à déployer le bon arsenal de solutions préventives et défensives.
Outre ces moyens de protection, d’autres stratégies d’adaptation peuvent être mises en œuvre :
En arboriculture comme en viticulture, chaque couple greffon/branche porteuse a sa propre dynamique et sa propre résistance aux aléas. Choisir les couples les plus adaptés peut permettre aux plantes de mieux résister au froid, avec un débourrement plus tardif.
C’est une stratégie compliquée à adopter car, outre le risque de gel, il faut également faire face à des risques croissants de fortes chaleurs et de sècheresses estivales, qui rendent plus difficile encore le choix de la meilleure variété ; un choix qui devient cornélien si l’on ajoute à l’équation le cadre juridique (lié à l’AOC) concernant la sélection des cépages autorisés (17) (18).
A long terme, cet enjeu dépassera probablement la seule question des gelées de printemps pour englober la résilience générale du secteur agricole face à la hausse des températures et à la multiplication des périodes de sècheresse
Il faudra alors répondre à d’autres questions, comme celle de la délocalisation de la production viticole d’une région à une autre, vraisemblablement plus au nord. En découleront des problématiques plus larges, notamment l’impact que le changement de terroirs, de variétés et de pratiques viticoles pourrait avoir sur la qualité du vin..
Une bonne connaissance du climat local et des spécificités de culture, par le biais d’ études de compatibilité
, permettra d’estimer la pertinence de chaque culture dans le futur, et d’identifier les meilleures mesures d’adaptation à prendre localement dans les décennies à venir.
Il est aujourd’hui possible d’anticiper l’évolution des qualités organoleptiques des produits en étudiant les paramètres de qualité liés au climat (taux de sucre/acidité, par exemple). Ces résultats sont ensuite croisés avec des tests et des enquêtes réalisés auprès de panels de consommateurs, dans le but de démontrer l’acceptabilité de ces modification par les clients (19). La fusion de ces deux types d'études permet de forger une approche globale dans l’objectif d’optimiser la résilience de cette filière.
Pour plus d’informations, vous pouvez contacter Jean-Baptiste ORNON, Agronome chez AXA Climate, jeanbaptiste.ornon@axa.com et Christelle CASTET, Climatologue chez AXA Climate, christelle.castet@axa.com
La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.