12 juin 2019
Les inégalités entre les sexes ont un impact sur presque tous les aspects de la vie des femmes, y compris la santé. Et c’est dans les pays en développement que ces disparités sont les plus prononcées. Ainsi, si l’amélioration de la santé des femmes est un enjeu majeur partout dans le monde, elle revêt une importance vitale dans ces pays. Pour répondre à l’urgence de ce défi, des études ont montré qu’un outil peut avoir un impact immense dans ce domaine : l’émancipation.
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Les problèmes de santé qui se posent dans les pays en développement sont nombreux, notamment les difficultés d’accès aux diagnostics fiables ou aux soins appropriés, ou encore l’absence de matériel ou de médicaments adaptés. En outre, ces difficultés ont des conséquences plus graves pour les femmes des pays émergents, pour plusieurs raisons : leur revenu est inférieur à celui des hommes, leurs responsabilités familiales sont complexes, elles dépendent d’un autre membre de la famille ou n’ont pas accès à l’éducation. En un mot, les femmes des pays en développement souffrent souvent d’un manque d’autonomie.
Pour toutes ces raisons, les femmes des pays en développement manquent souvent de soins de base et sont confrontées à de graves problèmes de santé : mortalité maternelle, mutilations génitales, mariages précoces, virus d’immunodéficience humaine (VIH)/SIDA et cancer du col de l’utérus ne sont que quelques-uns des problèmes qui touchent les femmes dans les pays en développement.
Comme l’explique le Dr Aduragbemi Banke-Thomas, lauréat AXA au centre de recherche LSE Health de Londres, plus de 300 000 femmes perdent encore la vie chaque année pour cause d’hémorragies, d’hypertension, de dystocie, d’infection ou encore de complications suite à un avortement non médicalisé. En raison de l’absence ou de l’insuffisance de l’accès aux soins médicaux, presque tous ces décès (99 %) interviennent dans des pays à faibles et moyens revenus.
Si la pauvreté affecte les hommes comme les femmes, la discrimination entre les sexes signifie que les femmes disposent souvent de beaucoup moins de ressources pour faire face aux problèmes de santé spécifiques auxquels elles sont confrontées, ce qui augmente leur vulnérabilité. Ainsi, les Nations Unies affirment que les femmes sont souvent les dernières à manger et qu’elles doivent régulièrement s’acquitter de tâches domestiques fastidieuses et non rémunérées.
Un autre facteur aggravant est que l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi dans les pays en développement est souvent limité. Ceci conduit directement à des taux plus élevés d’illettrisme et de mariage précoce, ainsi qu’à un plus grand risque de morbidité et de mortalité. Aussi, les femmes des pays en développement sont souvent prisonnières de cycles de dépendance, qui les rendent incapables de prendre en main leur santé et leur bien-être. Cette situation affecte non seulement les femmes elles-mêmes, mais aussi leurs enfants, leurs familles et leurs communautés.
Tout cela aboutit à une situation où les femmes des pays en développement ne disposent pas des ressources nécessaires pour contrôler leur propre destin. Par exemple, en raison notamment du mariage précoce, la mobilité spatiale des jeunes filles dans les pays en développement est réduite : en Afrique du Sud, leur accès spatial
se réduit de près d’un tiers lorsqu’elles atteignent l’âge de la puberté, alors que celui des garçons double au même moment. Cela accroît non seulement la dépendance des filles vis-à-vis de leur mari et de leur famille, mais a également des conséquences directes en termes d’opportunités sociales et professionnelles : dans les pays à revenus faibles, 79 % des hommes ont accès au marché du travail, contre seulement 47 % des femmes.
Le renforcement de l’autonomie des jeunes femmes dans ces pays leur permettra ainsi de contribuer davantage à l’économie locale. Thoai Ngo, chercheur en santé et pauvreté, souligne l’importance de l’émancipation, qui aidera non seulement ces femmes à être plus productives, mais aussi à accroître leur autonomie et leur influence au sein de leurs familles. Pour émanciper les femmes, les ONG appellent à investir massivement dans la santé et l’éducation des filles des pays en développement, ainsi qu’à faciliter l’accès à la contraception afin que les femmes puissent contrôler la taille et la structure de leur famille.
Pour aider les femmes à s’émanciper et prévenir les risques sanitaires spécifiques auxquels elles sont exposées dans les pays en développement, AXA soutient un programme académique de recherche à la London School of Economics and Political Science visant à assurer des soins obstétriques de qualité en Afrique subsaharienne. Les soins obstétriques d’urgence fournis par un expert qualifié au bon moment peuvent réduire de 15 à 50 % les décès liés à la maternité, tout en diminuant la mortinatalité de 45 à 75 %. Comme l’explique le Dr. Aduragbemi Banke-Thomas, responsable du projet, il est donc essentiel de s’assurer que les femmes comprennent bien l’importance de ces soins, qu’elles puissent accéder à des établissements offrant ces soins en temps voulu et qu’elles reçoivent des soins de qualité à leur arrivée
.
Pour que les femmes d’Afrique subsaharienne accèdent à ces soins, le programme propose des mesures concrètes : sensibiliser les communautés sur l’importance des soins obstétricaux en établissement, réduire les obstacles financiers à l’accès aux soins, développer les options de transport pour les femmes, où qu’elles vivent, former les prestataires de santé à fournir des soins de qualité et mettre à disposition le matériel nécessaire pour que les sages-femmes qualifiées travaillent au niveau optimal.
Par exemple, dans le cadre de ses travaux, le Dr Aduragbemi Banke-Thomas vise à examiner le temps de trajet réel des femmes depuis leur résidence jusqu’au centre de services d’obstétrique, afin de prendre en compte tous les facteurs qui entrent en jeu. Cela permettra de mieux comprendre l’itinéraire des femmes et les aidera à optimiser leur accès aux services d’obstétrique, et ainsi à faire les meilleurs choix en matière de santé pendant leur grossesse.
Les problèmes de santé et le manque d’autonomisation ne concernent pas seulement les femmes qui restent dans leur pays d’origine. Comme le souligne le Dr. Hibbah Osei-Kwasi, lauréate AXA et chercheuse postdoctorale à l’Université de Sheffield : Promouvoir une alimentation saine dans un contexte mondial nécessite une compréhension détaillée des migrations
. Elle explique que les femmes immigrées qui passent de pays à faibles revenus à des pays aux revenus élevés souffrent davantage de maladies non transmissibles liées à l’alimentation, notamment le diabète de type II et l’hypertension, par rapport aux populations d’accueil
. En outre, elles sont également confrontées à des niveaux plus élevés d’insécurité alimentaire et de discrimination, qui peuvent aggraver les inégalités en matière de santé.
Les travaux du Dr. Osei-Kwasi sur le régime alimentaire ghanéen des femmes immigrées vivant au Royaume-Uni illustre bien ce problème. En effet, en dépit du fait qu’elles adoptent rarement la mauvaise alimentation des occidentaux, ces femmes présentent une disposition anormalement élevée à l’obésité et aux maladies qui y sont liées. Dans son travail, le Dr. Osei-Kwasi pose une question fondamentale : On part du principe que les habitudes alimentaires traditionnelles des immigrants sont saines et qu’elles se détériorent lorsqu’ils adoptent des régimes plus ‘occidentalisés’. Mais est-ce vraiment le cas pour tous les immigrés ?
Dr. Osei-Kwasi souhaite répondre à cette question en enquêtant sur ce qui se passe dans les cuisines des femmes ghanéennes résidant au Royaume-Uni et au Ghana, dans le but de leur donner les moyens de faire des choix culinaires sains. Comme elle l’explique, ses recherches portent sur les femmes car traditionnellement, elles sont responsables de l’approvisionnement et de la préparation de la nourriture dans la plupart des foyers ghanéens
. L’objectif du projet est de poser les bases de premières mesures d’éducation nutritionnelle qui soient spécifiquement adaptées à la communauté des femmes africaines, en s’appuyant sur des canaux tels que la presse en ligne ou les réseaux sociaux.
Pour son projet actuel, la nutritionniste veut aller encore plus loin. Son nouvel objectif est de comprendre pourquoi les ghanéennes cuisinent comme elles le font, et comment. J’ai l’intention d’aller les observer chez elles, pas simplement de leur poser des questions. Je vais les regarder cuisiner, voir quels ingrédients elles utilisent, quelle quantité de sel elles ajoutent, quelle quantité de gras, d’huile, d’épices, quel type d’épices, combien de temps elles les font cuire… Mais ce n’est pas tout, je veux également comprendre pourquoi elles cuisinent de cette façon. Je vais donc leur demander comment elles perçoivent le régime ghanéen traditionnel, pourquoi elles pensent qu’il est sain, et si elles seraient prêtes à adopter des habitudes culinaires différentes et plus saines
.
En recensant les pratiques culinaires des ménages ghanéens, le projet du Dr. Osei-Kwasi vise à fournir des connaissances précieuses et sans précédent sur plusieurs causes alimentaires expliquant la prévalence du surpoids et de l’obésité dans cette communauté. En se concentrant sur les méthodes de préparation, ainsi que sur la volonté d’adopter des pratiques de cuisson saines, l’équipe aidera à développer des mesures adaptées pour réduire l’apparition de l’obésité et prévenir les carences en micronutriments.
Les inégalités entre les sexes générant et exacerbant de nombreux risques pour la santé des femmes dans les pays en développement, les programmes portant sur l’émancipation présentent les meilleures perspectives d’amélioration de la situation. Comme l’explique Thoai Ngo, trop d’acteurs du développement bien intentionnés perçoivent les filles comme des victimes à sauver, au lieu de les considérer comme des actrices innovantes et dynamiques capables de changer la donne
.
Renforcer le pouvoir des femmes signifie libérer leur potentiel pour résoudre des problèmes de société majeurs, en particulier concernant leur propre santé. En élargissant l’accès aux soins comme le Dr Aduragbemi Banke-Thomas ou en éduquant les femmes en matière d’alimentation et de santé comme le Dr Hibbah Osei-Kwasi, les initiatives axées sur l’émancipation peuvent avoir un effet transformateur sur les femmes et leur rôle dans la société.