Frank DesvignesAXA Lab Asie (2016-2018)
14 janvier 2016
Installé à Shanghai pour monter un nouveau AXA Lab, Frank Desvignes, le directeur de la transformation digitale du groupe AXA en Asie, raconte comment la Chine a su accueillir les startups et comment elle s’est adaptée à l’univers de la téléphonie mobile.
8 minutes
Suite au succès du premier modèle AXA Lab à San Francisco, une initiative mise en place par AXA en 2014, j’ai été chargé de créer un projet similaire à Shanghai, mon objectif étant d’identifier les startups prometteuses avec lesquelles s’associer et de passer au crible le marché à la recherche de tendances émergentes et de nouveaux entrepreneurs de talent.
Les premières prospections se sont révélées très encourageantes et riches en surprises dans le domaine du commerce digital.
Certains diront que les entreprises chinoises ne sont bonnes qu’à imiter les produits des concurrents internationaux. Mais bientôt, ce ne sera plus le cas. La Chine a accumulé beaucoup de connaissances et se lance aujourd’hui activement dans l’innovation et ce, à tous les niveaux, de la fabrication à la logistique. Le géant de l’électronique Xiaomi en est un bon exemple. L’entreprise s’est mise au développement de hardware et fabrique actuellement des smartphones aussi performants que ceux des principaux concurrents, tout en étant trois fois moins cher.
Le cas de WeChat est tout à fait fascinant. L’application pour mobile compte 600 millions d’utilisateurs actifs en Chine, ce qui représente près de la moitié des membres de Facebook dans le monde. Et WeChat réunit plusieurs fonctions en plus de la simple messagerie, s’apparentant à un mélange entre le micro blog Twitter, le réseau social Facebook, le paiement en ligne Paypal et l’application pour les rencontres Tinder. Comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise est en passe de lancer une autre révolution, l’Internet des Objets.
L’Asie, et la Chine en particulier, sont un terrain propice pour le développement d’Internet. Près de la moitié des internautes et 37% des personnes connectées sur les réseaux sociaux dans le monde vivent dans la région Asie-Pacifique.
La Chine compte quelque 1,35 milliard d’habitants, dont 668 millions de personnes connectées à Internet, la plupart via leur smartphone (environ 89%), selon les chiffres récemment publiés par le Centre d’information sur l’Internet en Chine (CNNIC).
Pour avoir une vision plus large sur la question des mobiles, l’année dernière, à la veille d’intégrer le 28ème état membre, Eurostat (l’agence des statistiques européenne) a placé l’usage d’Internet à seulement 51% en Europe.
Selon China Internet Watch, le blog de conseils en marketing d’Incitez, au moins un Chinois sur deux aurait effectué un ou plusieurs achats en ligne cette année, une augmentation par rapport à 2014. Ce qui signifie que la Chine pourrait très probablement dépasser l’Union européenne en termes de chiffres. Les Chinois aiment acheter sur Internet et passent généralement par leur smartphone pour ce faire.
Alibaba, le principal portail d’achat en ligne réalise une grande partie de son chiffre d’affaire annuel pendant la fête des célibataires (ou Guanggun Jie), une célébration qui met les âmes esseulées à l’honneur. Cette journée de shopping (une des plus importantes au monde) qui se tient le 11 novembre (la succession de 1 symbolisant l’union de personnes seules) a rapporté 9,3 milliards de dollars en 2014 à Alibaba, avec 35% des ventes réalisées via un téléphone portable.
Et les chiffres ne cessent d’augmenter. Cette année, il y a seulement quelques semaines de cela, les ventes d’Alibaba ont atteint la somme pharamineuse de 14,3 milliards de dollars, dont 70% ont été effectués sur smartphone.
Soit le double des ventes réalisées sur un mobile en l’espace d’un an à peine.
Et ce phénomène va bien au-delà des chiffres et des statistiques. Ici, le portable est considéré comme un objet du quotidien, faisant véritablement office de porte-monnaie.
Dès mon arrivée, j’ai pu constater, lors d’un passage au Starbucks, que la plupart des gens payaient leur commande avec leur téléphone (avec AlibaPay d’Alibaba ou WeChat). À ma grande surprise, il ne s’agissait pas uniquement de jeunes ou d’ados mais aussi de personnes plus âgées et même des seniors. Tous réglaient leur café sans sortir la moindre pièce de leur porte-monnaie.
Autre évolution lorsque vous réservez un vol sur votre ordinateur : désormais, une fois la réservation effectuée, le site internet génère un code QR qui s’affiche ensuite sur votre écran. Il suffit de prendre une photo de ce code avec votre téléphone et de payer directement. Rapide, pratique et sécurisé. Que demander de plus ?
Il ne se limite pas à la fonction de paiement, le smartphone a envahi toutes les sphères du quotidien en Chine.
La boîte vocale comme nous la connaissons n’existe pas. Tout simplement parce que les opérateurs Telco ne fournissent pas ce service. La plupart des Chinois utilisent WeChat sur leur téléphone pour la fonction qu’on lui connait habituellement, celle de passer des appels, mais aussi, ce qui est plus surprenant pour les occidentaux, pour les conversations asynchrones. À Shanghai, nombreux sont ceux qui déambulent dans les rues, les yeux rivés sur leur portable paraissant discuter avec leur appareil. Ils lui adressent quelques mots et remettent leur téléphone en poche, puis reçoivent quelques instants après un message vocal en réponse.
Quand on regarde le cycle commercial du digital dans son ensemble, en incluant la communication avec les clients, nous voyons bien que tout se fait via téléphone, de l’acquisition du terminal au service après-vente et ce, même au niveau local.
Un jour, en voyant une femme conduire une trottinette électrique, je réalisai que ce moyen de locomotion pouvait être la solution idéale à mes déplacements en ville. Quelques secondes après avoir stoppé la conductrice (qui s’avérait être une Italienne expatriée) pour lui demander où elle se l’était procurée, j’obtins le contact du vendeur via WeChat et commençai à prospecter pour un modèle, regardant les différentes photos directement sur la plateforme. Quelques heures plus tard, le vendeur m’apportait mon nouveau joujou à mon domicile.
Et ce n’est pas tout, quelques semaines plus tard, alors que je me débattais avec la batterie électrique devenue capricieuse, je lui envoyai une capture d’image via WeChat. Deux heures ont suffi pour qu’il me livre chez moi une nouvelle batterie et l’installe aussitôt, me permettant de reprendre la route et mes activités en toute tranquillité.
Et je pourrais continuer ainsi longtemps à citer d’autres exemples, tant le téléphone est devenu un réflexe et même un objet incontournable dans le quotidien. Ainsi après m’avoir assisté dans l’ouverture d’un compte bancaire, mon conseiller a été jusqu’à me donner son pseudo WeChat afin de pouvoir m’aider pour de futures transactions.
Et si lors de votre session shopping, vous ne trouvez pas votre pointure de chaussures, il vous suffit de demander le nom du gérant de la boutique. Il vous préviendra via WeChat de l’arrivée du produit à la taille désirée, ou de sa disponibilité dans un autre magasin de la ville.
Fluide et instantané où que vous soyez, c’est aussi simple que cela.
Suite au boom économique et à l’émergence de la téléphonie mobile, les startups chinoises spécialisées dans les nouvelles technologies prospèrent rapidement.
Le pays compte environ une douzaine de licornes (des startups estimées à 1 milliard de dollars au minimum), dont les trois plus connues sont Alibaba, WeChat détenu par Tencent et Baidu. La dernière étant l’équivalent de Google en Chine, bien qu’avec beaucoup plus de fonctions et de services, comme une encyclopédie dédiée et une messagerie très populaire (si vous voulez tester votre niveau de Mandarin, allez faire un tour ici)
Pour avoir une idée de l’étendue du développement de ces startups, sachez que Baidu vient tout juste de développer un set de baguettes connectées qui testent la qualité de la nourriture en temps réel. Sur un marché d’un peu plus d’un milliard de clients potentiels, vous imaginez le nombre de baguettes…
Les entreprises utilisent Internet comme principal lieu d’échange d’un bout à l’autre de leur chaîne d’approvisionnement. Les fabricants, fournisseurs et vendeurs se retrouvent tous en ligne sur Alibaba, qui rassemble des sites internet de toute industrie confondue.
Didi Kuaidi, une startup en pleine expansion, axée sur la réservation de taxis et de voitures privées a réuni deux des plus grandes entreprises de taxis chinoises Didi Dache et Kuaidi Dache. Depuis la fusion surprise des deux sociétés en février 2015, la taille et la portée de Didi Kuaidi n’ont cessé de s’accroitre repoussant toutes les limites pour une simple startup. Dès septembre de la même année, elle avait vu ses parts de marché augmenter de 80% sur le créneau des voitures privées et de 99% pour les taxis.
Évidemment, les nouveaux marchés nécessitent de s’adapter.
Un des principaux concurrents de Didi Kuaidi n’est autre qu’Uber. Contrairement aux autres villes où Uber est présent, les rues de Shanghai sont tellement saturées en permanence, que le GPS ne suffit pas à localiser les clients. C’est pourquoi, lorsque vous voulez réserver une voiture à Shanghai en utilisant Uber, vous devez indiquer votre position exacte. Mais avant cela, assurez-vous de parler Mandarin.
Le business du monde digital en Chine repose, sans surprise, sur le capital privé chinois et étranger. Mais c’est le nombre qui est impressionnant : le montant total des investissements de capital à risque en Chine a récemment été estimé à 28,6 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de 2015.
Cependant, la véritable surprise pour les startups chinoises concerne leurs nouveaux partenaires financiers, à savoir : le gouvernement. Si l’État chinois a l’habitude d’injecter d’importantes quantités d’argent dans les infrastructures de grande envergure telles que les lignes de train à grande vitesse, les autoroutes et les entreprises publiques renommées, il vient tout juste d’annoncer un fonds d’aide pour les startups s’élevant à 6,5 milliards de dollars, tirant toujours plus les chiffres vers le haut. L’année 2016 semble prometteuse.
Tandis qu’ils développent sans cesse le marché de la téléphonie mobile, l’esprit d’entreprise et l’ouverture aux investissements, la Chine et l’Asie tout entière sont en passe de devenir les futurs moteurs de la croissance digitale. C’est ainsi qu’AXA Lab Asie prend le train en marche et espère profiter de cette croissance pour augmenter ses parts de marché, apporter des connaissances et le savoir-faire à d’autres marchés et s’inspirer de la réussite chinoise, ce qui devrait nous occuper pendant plusieurs années. Restez à l’écoute, notre coopération avec les grands entrepreneurs et les meilleures startups de Chine et d’Asie ne fait que commencer.