13 novembre 2024

Le coût de l’inaction face au changement climatique est bien supérieur au coût de l’adaptation

4 questions à Gilles Moëc, chef économiste du Groupe AXA

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Lors de l’événement Climate Futures organisé début novembre à la Maison de la Mutualité, AXA a réuni des experts pour échanger autour de l’adaptation au changement climatique. Retour sur l’analyse de Gilles Moëc, chef économiste du Groupe AXA, sur l’impact du réchauffement climatique sur l’économie et les pistes de réflexion pour concevoir des stratégies d’adaptation au sein des entreprises et des territoires.

Quels sont les effets du réchauffement climatique sur l’économie et comment sont-ils mesurés dans les grands indicateurs mondiaux ?

Les coûts liés au changement climatique augmentent devant nos yeux en raison de la montée en fréquences des événements météorologiques extrêmes, bientôt des perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales, de l’obsolescence du capital installé, quand par exemple des logements ne sont plus adaptés aux nouvelles températures. Le coût économique du réchauffement climatique est souvent d’abord insidieux, puis dramatique.

Insidieux d’abord, parce que l’on ne mesure pas directement tous les impacts des événements climatiques sur l’économie. Par exemple, le PIB, indicateur phare utilisé en économie, ne mesure pas le coût effectif du réchauffement climatique. Il reflète uniquement des flux de production. Prenons un exemple très concret : lors d’une catastrophe naturelle, après le blocage temporaire de la production sur les lieux affectés, des acteurs économiques (assureurs, Etats, etc.) débloquent des fonds pour financer les réparations, créant ainsi de nouveaux flux de production. Mais toute la destruction du capital provoquée par ces événements climatiques n’est pas intégrée dans le calcul du PIB. Aussi bien qu’au bout d’un an, une catastrophe naturelle peut même finir par avoir par un effet net positif sur le PIB. De ce point de vue, il faut saluer le travail novateur de l’INSEE qui vient de produire des indicateurs qui, pour la France, intègreront davantage le coût du réchauffement climatique dans la mesure de l’économie.

De plus, si la fréquence des catastrophes naturelles augmente, les assureurs peuvent être amenés à relever leurs primes, entraînant un effet négatif sur le pouvoir d’achat des ménages, et les Etats vont devoir engager des dépenses supplémentaires financées soit par l’impôt, soit par la dette publique. L’ensemble de ces coûts vont venir in fine ralentir la croissance.

A terme, le coût de l’inaction face au réchauffement climatique devient faramineux, notablement supérieur au coût de l’adaptation. Il faut avoir conscience de l’existence de non-linéarités , de points de bascule au-delà desquels une activité peut s’effondrer. Pour prendre un exemple concret, à partir d’un certain niveau d’acidification et d’augmentation de la température des océans, c’est toute la filière de la pêche qui peut s’écrouler. Autre exemple : dans certaines régions, avec le réchauffement climatique le travail en ville dans des bureaux pourrait devenir insupportable d’ici 20 ou 30 ans. On voit ainsi que des activités qui existaient peuvent devenir obsolètes.

Comment les acteurs économiques peuvent-ils s’adapter au changement climatique et à quel prix ?

Il faut éveiller les consciences chez les acteurs économiques. L’information et l’éducation à la culture du risque sont une première étape dans le processus d’adaptation.

Les entreprises et les territoires doivent anticiper les conséquences potentielles du changement climatique et concevoir des moyens d'adapter les modèles opérationnels et commerciaux dans un monde qui se réchauffe. L’adaptation est cruciale et complémentaire de la décarbonation.

L’innovation fait partie des solutions pour rendre nos actifs plus efficaces, moins intensifs en énergie et en carbone, par exemple dans l’industrie automobile. Mais il faut aussi repenser les modèles dans certains secteurs comme l’agroalimentaire. En France, le gouvernement vient de lancer le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique, une grande consultation auprès des entreprises sur les mesures à mettre en œuvre pour la sauvegarde et la sécurité de leurs activités et conditions de travail dans un scénario à +4°C en 2100.

L’adaptation a un prix. Si nous sommes capables d’évaluer les coûts liés à la transition (à travers les taxes sur les émissions carbone, l’identification des activités qui seront obsolètes dans 15 ans…), il est beaucoup plus difficile de mesurer le coût de l’adaptation.

Quel rôle les institutions financières peuvent-elles jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation ?

La finance doit servir à une croissance durable. Les institutions financières ont un rôle clé à jouer notamment à travers leurs investissements : en soutenant les secteurs et les projets durables (fonds à impact, etc.), et aussi en décourageant les investissements qui ne vont pas dans le bon sens.

Mais il faut assumer une certaine complexité. Un des mauvais services que la finance durable pourrait rendre à la lutte contre le réchauffement climatiques serait d’opérer de manière extrêmement binaire. En sortant complètement de certains secteurs par exemple, alors qu’au sein de ces secteurs des entreprises ont parfois encore des activités brunes mais cherchent et proposent aussi des solutions techniques de décarbonation. Accompagner la transition cela veut dire, dans certains cas, accepter de conserver dans ses portefeuilles des actifs qui ne sont pas encore totalement verts.

Les institutions financières ne peuvent y parvenir seules. Les pouvoirs publics et les régulateurs doivent accompagner l’adaptation à travers l’incitation fiscale, en définissant des cadres réglementaires…

Le contexte géopolitique actuel oblige les acteurs économiques à naviguer dans un monde de plus en plus fragmenté. Suite aux résultats des élections américaines comment les enjeux climatiques et économiques vont-ils évoluer selon vous ?

L’instabilité géopolitique mondiale entrave la coopération sur les réglementations, notamment en matière de finance, entraînant ainsi un retour des barrières commerciales partout dans le monde. Donald Trump a proposé de hisser les droits d’importation à 10 %, avec un taux spécial de 60 % pour la Chine.

Le risque de déglobalisation, ou plutôt de clubification d’une économie mondiale, qui au lieu de s’unir autour d’intérêts politiques communs se fragmenterait autour de pôles concurrents, voire hostiles les uns envers les autres.

Mais bien sûr, cette fragmentation s’observe également dans le domaine climatique. Donald Trump a très clairement indiqué qu’il sortirait à nouveau les Etats-Unis de l’Accord de Paris. Ce qui est frappant, c’est que face à un risque commun – la désintégration du système financier mondial lors de la crise de 2008 – des Etats de toutes les obédiences politiques, souvent rivaux, ont coopéré pour aboutir à des solutions communes, notamment une régulation financière qui a beaucoup convergé entre les différentes régions. Le G20 était le forum par excellence de cet effort commun. Aujourd’hui, cet esprit de coopération, malgré toutes les COP du monde, est aux abonnés absents.

Il ne faut toutefois pas désespérer. Même sous la première présidence de Donald Trump, l’économie américaine a réduit son intensité carbone. Beaucoup d’entreprises américaines ne relâcheront pas l’effort, même si on peut s’attendre à ce qu’elles soient moins éloquentes sur ces thèmes. La pression des consommateurs, des ONG, la conscience toute simple, à tous les niveaux, de l’urgence à agir progresse, au-delà des soubresauts politiques.

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