Ara Arakelian, Extreme Events & Climate Risk chez AXA ClimateEmmanuel Monnier, journaliste aux Chemineurs
24 juin 2022
Selon les climatologues, le réchauffement climatique devrait augmenter la fréquence et l’intensité des périodes de sécheresse dans certaines parties du monde, avec de faibles précipitations notamment dans le sud de l’Amérique du Nord, la forêt amazonienne, le Chili, la région méditerranéenne de l’Europe ainsi que le sud et l’est de l’Afrique.
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Comment lutter contre la désertification et la dégradation accélérée des sols ? C’est la question qui a été posée aux 196 délégués d’État réunis le 10 mai dernier à Abidjan (Côte d’Ivoire), lors de la 15e Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD). La COP 15 est l’une des trois conférences biennales mises en place lors du Sommet de la Terre de 1992 pour assurer l’équilibre écologique de la planète.
Publié par l’ONU quelques jours avant la conférence, le rapport Global Land Outlook avait déjà sonné l’alarme, en indiquant que la détérioration concerne 20 % à 40 % des terres émergées. Si les effets combinés de l’urbanisation et de l’extraction industrielle sont en cause, c’est l’agriculture intensive qui est le principal coupable, car elle dépend lourdement des pesticides et des engrais, et réquisitionne 70 % des réserves mondiales d’eau douce (1).
Les écosystèmes s’affaiblissent et les sols s’érodent, perdant ainsi en fertilité, au point de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de l’humanité. La détérioration des sols menace la moitié de la population mondiale, soit trois milliards de personnes, notamment dans les zones arides, semi-arides et subhumides qui représentent près de 46 % des terres émergées (2).
Selon les prévisions du GIEC, si les émissions de gaz à effet de serre conservent leur niveau actuel, ces zones devraient augmenter de 10 % à 25 % en 2100, par rapport aux surfaces qu’elles occupaient en 1990.
Figure 1 : Répartition des zones sèches dans le monde (2)
Lors du sommet d’Abidjan, le secrétaire exécutif de l’UNCCD, Ibrahim Thiaw, originaire de Mauritanie, a évoqué la sécheresse dramatique qui menace actuellement la Corne de l’Afrique. 20 millions de personnes sont au bord de la famine en Somalie, en Éthiopie et au Kenya. Depuis la fin de l’année 2020, cette région a subi trois saisons exceptionnellement sèches (figure 2). Les niveaux de précipitations ont à nouveau été très faibles entre mars et mai 2022, laissant présager la plus longue période sèche depuis 40 ans.
Conséquence de cette sécheresse catastrophique, les récoltes ont diminué de 70 % dans les régions les plus touchées, d’après les données du Programme alimentaire mondial (PAM) (3). Plus de 7 millions de personnes en Éthiopie et 3,5 millions de personnes au Kenya manquent déjà de nourriture et risquent de mourir de faim s’il ne pleut pas dans les prochains mois. On déplore en outre la perte de 3 millions de têtes de bétail dans ces deux pays. En Somalie, c’est près de 6 millions de personnes, soit 40 % de la population, qui sont en état d’insécurité alimentaire
Figure 2 : 4 saisons pluvieuses insuffisantes depuis 2020 (4)
Selon les climatologues, le réchauffement climatique devrait augmenter la fréquence et l’intensité des périodes de sécheresse dans certaines parties du monde, avec de faibles précipitations notamment dans le sud de l’Amérique du Nord, la forêt amazonienne, le Chili, la région méditerranéenne de l’Europe ainsi que le sud et l’est de l’Afrique.
D’autre part, les précipitations devraient être plus importantes mais moins régulières dans les zones tropicales. Les données concernant la Corne de l’Afrique restent difficiles à interpréter pour le moment (5) (6).
Mais cette sécheresse exceptionnelle est-elle liée au réchauffement climatique ? C’est ce que les climatologues tentent de déterminer, en utilisant plusieurs modèles et méthodes d’attribution.
D’après les scientifiques du groupe World Weather Attribution, lors de la sécheresse qui a sévi au Kenya en 2016 on a relevé des températures plus élevées que celles auxquelles on aurait pu s’attendre sans réchauffement climatique (6), mais en matière de précipitations les tendances sont plus difficiles à établir, car les différents modèles utilisés donnent des résultats contradictoires.
La température des eaux de surface dans l’océan Indien pourrait jouer un rôle important en raison du phénomène naturel El Niño
, qui réchauffe régulièrement les eaux équatoriales de l’océan Pacifique ou qui, avec son négatif El Niño
, contribue à réduire les taux de précipitations au Kenya d’octobre à décembre.
Les scénarios du GIEC prévoient que le réchauffement sera deux fois plus élevé dans les zones arides que dans les zones plus humides, en raison de l’absence de végétation et de la faible humidité contenue dans le sol. En conséquence, les températures de surface dans les régions arides pourraient augmenter en moyenne de 6,5 °C (contre 3,5 %) d’ici la fin du siècle.
Les températures élevées, si elles ne réduisent pas forcément le volume des précipitations, favorisent néanmoins l’évaporation de l’humidité des sols et augmentent leurs besoins en eau, aggravant les sécheresses et menaçant lourdement l’agriculture et l’élevage en zone aride.
Les sécheresses chroniques, combinées à l’érosion éolienne de la fine couche de sédiments permettant de retenir l’eau et les nutriments, ont déjà des conséquences dramatiques dans de vastes régions de l’Argentine. Dans les zones arides du Pakistan et de l’Inde, notamment dans le sud du Punjab, la hausse des températures réduit gravement les rendements agricoles. Les fortes chaleurs contribuent également à la salinisation des sols en Inde, ainsi que dans la région arabe où ce phénomène concerne déjà 7 millions d’hectares et devrait en toucher 9 millions supplémentaires d’ici 2050.
Dans son dernier rapport, le GIEC propose plusieurs pistes pour faire face aux sécheresses et limiter la désertification (7).
- Optimiser la gestion des réserves d’eau, notamment dans l’agriculture et l’industrie, en encourageant les changements de comportements et en réduisant la consommation.
- Concevoir des systèmes d’alerte précoce permettant de détecter les sécheresses, les tempêtes de sable et le tempêtes de poussière.
- Prévoir des aides financières pour agir plus efficacement en cas de sécheresse.
- S’appuyer sur les savoir-faire locaux ou autochtones pour mieux préserver les sols. Les connaissances ancestrales de certains peuples nomades peuvent aider à faire face aux incertitudes climatiques.
- Restaurer la diversité des paysages pour prévenir l’érosion et enrichir la biodiversité en modifiant les techniques de pâturage, en augmentant la mobilité du bétail, en encourageant la propriété collective et les droits collectifs d’accès aux zones de pâturage, en réduisant les labours et en introduisant des espèces végétales adaptées aux climats secs, qui peuvent se passer d’irrigation.
- Créer des laboratoires pour mettre au point de nouvelles variétés de plantes plus résistantes à la sécheresse.
En mai dernier, les membres de la COP15 se sont mis d’accord pour accélérer la restauration d’un milliard de terres endommagées à l’horizon 2030 (un effort qui nécessitera un investissement mondial de 1600 milliards de dollars), d’améliorer la résilience face aux sécheresses en identifiant l’expansion des zones arides, et de renforcer la participation des femmes à la gestion des terres.