Amanda O’Toole

Amanda O’TooleGestionnaire de portefeuille, AXA IM

3 février 2022

Pourquoi les déchets alimentaires sont une cible mouvante dans la lutte contre le changement climatique

Quand on parle de gaspillage alimentaire, on ne peut pas incriminer une centrale électrique géante qui émettrait la totalité du gaz à effet de serre (GES); il s’agit plutôt de plusieurs millions d’instants précis et d’échanges qui ont lieu dans les fermes, les supermarchés, les foyers et les restaurants.

Changement climatique

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Original Content: AXA IM

Dans l’ensemble, nous sommes désormais relativement à l’aise avec le concept de chaînes d’approvisionnement “juste à temps”, qui nous fournissent des marchandises au quotidien. La production et la distribution de nourriture à flux tendu seraient bien plus inconfortables. Nous nous sommes habitués à une apparente abondance – et, comme l’ont prouvé les dérapages des chaînes d’approvisionnement en 2021, les consommateurs ont tendance à paniquer facilement à la vue de rayonnages vides dans les supermarchés. 

La surproduction fait donc partie intégrante du système (l’alternative est inenvisageable), mais ses implications n’ont pas été suffisamment prises en compte. Les données dont on dispose prouvent qu’il s’agit là d’un réel problème, alors que la planète cherche à assurer la transition vers le net zéro au cours des prochaines décennies.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), nous gaspillons environ un tiers de la nourriture que nous produisons [1]. Ce gaspillage se poursuit tout au long de la chaîne d’approvisionnement, du champ à la décharge. Pour les fruits et légumes, les pertes représentent près de la moitié de la production, selon les chiffres des Nations unies[2]; elles entraînent un gaspillage d’eau, de terre et de carburant, et aggravent la déforestation ainsi que l’utilisation de pesticides.

Au total, l’empreinte carbone du gaspillage alimentaire est estimée à environ 3,3 gigatonnes d’équivalent CO2 par an – s’il était un pays, le gaspillage alimentaire se classerait en troisième position parmi les plus gros émetteurs modiaux, après les Etats-Unis et l’Inde[3].

Mais ces chiffres globaux masquent la nature plus dispersée et protéiforme de ce problème. Quand on parle de gaspillage alimentaire, on ne peut pas incriminer une centrale électrique géante qui émettrait la totalité du gaz à effet de serre (GES); il s’agit plutôt de plusieurs millions d’instants précis et d’échanges qui ont lieu dans les fermes, les supermarchés, les foyers et les restaurants. Et si les énergies renouvelables font progressivement diminuer notre dépendance au charbon et au gaz, il n’existe actuellement aucune alternative viable aux denrées alimentaires dont dépend notre survie, ni même aux réseaux de production et de distribution grâce auxquels ces produits arrivent sur notre table.

Sans un système de remplacement parfait qui attendrait juste d’être mis en place, il est donc probable que les solutions au problème seront, elles aussi, dispersées et protéiformes. Un rapport publié en 2014 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture l’a clairement démontré: les six solutions qu’il a choisi de mettre en avant vont des refroidisseurs de lait au Kenya jusqu’à l’amélioration du tri des carottes en Suisse, en passant par l’alimentation des porcs en Australie[4]. Il est toutefois essentiel de souligner que ces solutions partielles existent bel et bien. Pour les investisseurs à la recherche de croissance et de décarbonisation, cette diversité pourrait offrir des opportunités très attrayantes.

Des impacts inégaux

Le gaspillage alimentaire se produit partout dans le monde, mais sous différentes formes. Dans les pays riches, la production a gagné en efficacité grâce à la mécanisation et à l’amélioration des techniques agricoles. Le gaspillage a donc tendance à se produire à l’autre extrémité de la chaîne d’approvisionnement, lorsque les excédents non consommés sont jetés à la poubelle et finissent par générer des émissions des méthane, un GES (sous sa forme non brûlée) bien plus nocif que le dioxyde de carbone. 

Si nous décidons d’accepter la surproduction en tant que seule réalité politiquement plausible pour les nations développées  - et si nous rejetons la surconsommation pour toutes sortes de raisons sanitaires et sociales -, la solution devrait en partie résider dans ce que nous faisons de la nourriture une fois qu’elle tombe du mauvais côté des dynamiques d’offre et de demande. Il existe tout un panel d’entreprises qui conçoivent des applications dont le but est de mettre en relation les détenteurs de surplus alimentaire et les consommateurs potentiels. Ces entreprises interviennent souvent au niveau de la communauté, entre individus; pourtant, même celles qui aimeraient transposer cette idée au niveau des restaurants et des sociétés de catering ont du mal à atteindre l’échelle qui les rendrait attractives pour des acteurs plus importants du marché.

Plus viables sont peut-être les entreprises qui tentent de produire de l’énergie en collectant et en redistribuant les huiles de friture usagées, qui servent alors de carburant pour les grandes sociétés de transport, ou en utilisant les déchets issus de la production de viande afin d’en faire de l’engrais[5]. D’autres activités sont centrées sur la digestion anaérobie, un processus vieux de plusieurs siècles qui consiste à récupérer les déchets alimentaire issus de toute la chaîne d’approvisionnement pour en faire du biogaz. Lorsqu’il est brûlé pour produire de l’électricité, le biogaz génère des émissions beaucoup moins nocives que lors de sa décomposition naturelle. On considère en outre qu’il est proche de la neutralité carbone, puisque le dioxyde de carbone a d’abord été extrait de l’atmosphère lors de la mise en culture et de la moisson des terres agricoles dans un passé récent (un phénomène en forte opposition avec le volume de CO2 stocké pendant des millénaires puis libéré dans l’atmosphère lors de l’utilisation des combustibles fossiles)[6].

Au Royame-Uni (où le volume d’énergie produite par digestion anaérobie a augmenté de près de 60 % entre 2015 et 2020), les déchets alimentaires représentent environ un tiers du matériau utilisé pour ce processus, et les cultures en fornissent un autre tiers[7]. Selon la dernière étude de marché de l’industrie du compostage et de la digestion anaérobie au Royaume-Uni, 3,2 millions de tonnes de déchets alimentaires ont été exploitées en 2018, contribuant ainsi à générer 1,2 milliard de mètres cubes de biogaz (entre autres produits, notamment des engrais). Un quart de l’énergie produite de cette façon a été injecté dans le réseau électrique national[8].

Sur les étagères

Une autre solution pouvant potentiellement faire l’objet d’investissement réside dans les innovations servant à prolonger la durée de conservation des produits. Les aliments frais se périment rapidement car ils offrent un environnement de choix aux micro-organismes, mais les emballages antimicrobiens pourraient contribuer à résoudre ce problème – par exemple, les gaz antimicrobiens contenus dans les poches d’air entourant certaines viandes ou certains fromages -, avec pour effet secondaire de réduire la dépendance à la réfrigération, qui consomme énormément d’énergie tout au long de la chaîne logistique.

Et si l’on remonte au tout début de cette chaîne, en dehors de l’univers “investissable”, et en premier lieu aux agriculteurs qui produisent la nourriture, des initiatives innovantes et encourageantes apparaissent, comme le Farmers Business Network aux Etats-Unis[9]. Fondé en 2014 par quelques producteurs dont le but était de partager des informations, ce réseau regroupe aujourd’hui 25 000 membres; grâce à la collecte et au partage de données, son objectif est d’améliorer l’efficacité et la durabilité de l’agriculture. Ce groupement est né de la volonté de lutter contre les prix abusifs, et aide désormais les agriculteurs à affiner leurs prises de décision pour optimiser l’utilisation des terres.

Tous les débats autour du gaspillage alimentaire tendent à revenir à la case départ. Les problèmes, tout comme les solutions, sont disséminés tout au long de la chaîne de valeur, ce qui est, selon nous, aussi encourageant que complexe pour les investisseurs. Des opportunités potentielles émergent partout à mesure que le monde s’adapte au futur “net zéro” que les gouvernements sont en train de mettre en place, et que nous nous attaquons courageusement aux impacts climatiques du système alimentaire dont dépend notre survie.

La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.

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