Comment la déforestation perturbe notre biodiversité ?

Contenu original: Fonds AXA pour la Recherche

Nous avons assisté à une déforestation très importante ces dernières années pour faire place à des cultures telles que le palmier à huile ou l’acacia. Quel est l’impact sur la biodiversité ? 

Dr Vincent Gauci : La nature du paysage change radicalement, passant de plusieurs centaines d’espèces différentes de plantes par hectare à peut-être une ou deux. Avec le palmier à huile, nous avons également constaté une prolifération de rats et l’introduction de toute une série d’autres espèces. Nous savons que 50% des orangs-outans ont disparu au cours des vingt dernières années en raison de la déforestation et il ne reste qu’environ 300 tigres de Sumatra à l’état sauvage. L’effet est très perturbateur. 

Avec la déforestation, ces paysages deviennent-ils plus sensibles au changement climatique ? 

Dr Vincent Gauci : Oui, nous nous dirigeons vers un système qui n’a pas le même niveau de résilience et qui n’est pas capable de s’adapter aux chocs climatiques. En Asie du Sud-Est, par exemple, nous sommes en présence d’écosystèmes humides et riches en carbone. Ils ne s’enflamment pas, ils ne brûlent pas. Une fois que les arbres sont retirés et que la tourbe est drainée pour faire place aux plantations, elle devient très sèche et propice aux incendies. 

Et cela libère du carbone qui accélère le changement climatique… 

Dr Vincent Gauci : Exactement. Les tourbières sont d’énormes réserves de carbone. Des incendies se produisent chaque été en Asie du Sud-Est. En 2015, lors du dernier grand événement El Niño, les incendies ont ravagé d’énormes étendues de terre à Sumatra et ailleurs. Le carbone est aussi libéré par le simple drainage. Lorsque les arbres sont abattus, des canaux sont creusés dans la tourbe pour drainer la terre. On obtient ainsi un mètre supérieur de tourbe laquelle est de ce fait exposée à l’oxygène, ce qui n’avait plus été le cas depuis des milliers d’années. Les matières organiques connaissent alors une décomposition aérobie (en présence d’oxygène) et le carbone disparaît rapidement dans l’atmosphère sous forme de CO2. 

Comment la déforestation affecte-t-elle les sols ? 

Dr Vincent Gauci : Elle peut créer des frontières artificielles. L’hydrologie des tourbières est telle que, si une partie est drainée, cela produit des répercussions à plusieurs centaines de mètres, voire à des kilomètres aux alentours. Un phénomène connu des gestionnaires locaux des terres, qui font de leur mieux pour limiter cet appauvrissement hydrologique. La gestion de l’eau dans ces paysages est un enjeu énorme car l’eau peut disparaître très rapidement. La déforestation peut également provoquer un empiètement excessif de l’homme sur l’habitat de la faune sauvage, ce qui entraîne un défi supplémentaire, celui de l’interaction entre l’homme et les espèces animales, par exemple lorsque les tigres sont contraints de chercher de la nourriture à proximité des villages. 

Dans le monde entier, l’ampleur de la déforestation a été énorme.
Observez-vous une évolution des attitudes ? 

Dr Vincent Gauci : L’Amazonie se rétrécit au rythme d’un terrain de football de forêt tropicale par minute. C’est une question très sensible sur le plan politique. Au Brésil, certains utilisateurs des terres estiment qu’ils peuvent à nouveau déboiser en raison du récent changement de gouvernement. Ailleurs, en Asie du Sud-Est par exemple, des moratoires sont en vigueur : ironiquement, certains grands propriétaires terriens finissent par surveiller les fragments de forêt naturelle qui subsistent. C’est une situation très complexe, qui donne lieu à des tensions. Par exemple, si vous construisez une route pour favoriser le développement économique en donnant à une communauté un meilleur accès aux marchés, plus de gens viendront dans la forêt que la route traverse. Ils peuvent s’approprier la terre, par des moyens légaux ou illégaux, avec souvent peu de contrôle ou de résistance, et défricher la forêt pour les cultures ou d’autres produits. Le défi concerne en réalité les populations, leurs déplacements et leurs moyens de subsistance, et donc l’équilibre entre les besoins de développement économique et la protection de la forêt. Et cela dépasse les frontières : les produits cultivés dans les forêts tropicales font partie de chaines d’approvisionnement internationales, par exemple l’huile de palme ou le papier. 

Quelles sont les solutions possibles ? Comment protéger ces forêts ? 

Dr Vincent Gauci : Des efforts sont faits pour reboiser : cela peut être une solution. En Indonésie, après les incendies de 2015, les propriétaires terriens ont eu pour directive de faire remonter la nappe phréatique dans les tourbières jusqu’à quarante centimètres de la surface. Cela permet de revenir à des espèces d’arbres indigènes qui poussent moins vite mais sont mieux adaptées à un environnement avec une nappe phréatique élevée. Il n’est pas facile de faire monter la nappe phréatique, mais c’est possible en introduisant des barrages et des vannes et en régulant les débits dans les canaux de drainage. Cette problématique soulève de nombreux enjeux, mais les propriétaires fonciers commencent à se rendre compte que leur subsistance à long terme dépend de la préservation de la tourbe.