Gordon WatsonDirecteur Général d'AXA Asie et Afrique
24 juin 2022
Les gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique polluent également l’air ambiant, ce qui induit des millions de pertes humaines chaque année, explique Gordon Watson, CEO d’AXA Asie et Afrique.
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La tendance mondiale des gouvernements, des entreprises ou autres organisations globales à s’engager vers le net-zéro pour combattre le changement climatique doit être saluée. Confrontés à des phénomènes climatiques extrêmes tels que les récentes vagues de chaleur en Inde et au Pakistan, ils sont désormais nombreux à reconnaître le risque existentiel que représente le réchauffement de la planète.
Mais l’accent mis sur les engagements pris en termes de net-zéro pourrait bien détourner notre attention de la menace sanitaire plus immédiate encore de la pollution de l’air, qui découle de ces mêmes activités industrielles et urbaines contribuant au changement climatique.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 99 % de la population est exposée à de dangereux polluants tels que les particules fines, le monoxyde de carbone, l’ozone et le dioxyde d’azote.
On associe depuis longtemps la pollution de l’air avec des pathologies comme l’asthme, les maladies du cœur et des poumons, et certains types de cancer. Chaque année, quelque 7 millions de personnes meurent prématurément à cause de la pollution de l’air.
Beaucoup de ces mêmes polluants qui nous nuisent à court terme sont également la cause du réchauffement global à long terme. Le dioxyde de carbone, le gaz à effet de serre le plus répandu, provient essentiellement de la combustion des énergies fossiles et du brûlage agricole.
Ces phénomènes sont aussi à l’origine d’émissions de suie, ou PM2.5, des particules fines de 2,5 micromètres ou moins encore qui pénètrent les poumons et le système sanguin, augmentant ainsi les risques de crise cardiaque.
Le méthane, un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone en termes de contribution au réchauffement, entraîne la formation d’ozone au niveau du sol, un élément clé dans la constitution de brouillards de pollution et un oxydant très nocif pour les poumons.
Les liens entre les émissions de gaz à effet de serre et les polluants atmosphériques démontrent que le changement climatique n’est pas qu’une menace à long terme – il engendre une véritable crise sanitaire. Alors que les engagements en faveur de l’objectif net-zéro devraient conduire à une réduction des polluants dangereux, leur calendrier est souvent une affaire de décennies. La Chine, par exemple, s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2060.
Il est impératif que le monde prenne des mesures fermes concernant la pollution atmosphérique dès maintenant, et contribue ainsi à accélérer l’agenda de l’action climatique.
Le problème de la pollution de l’air concerne la totalité du continent asiatique, qui compte 48 des 50 villes les plus polluées au monde, selon la société suisse IQAir. Les centrales à charbon ont un impact sur la qualité de l’air dans toute la Chine, tandis que les émissions liées à la circulation automobile et à la combustion de biomasse étouffent les villes indiennes.
En Asie du Sud-Est, les fermiers d’Indonésie, de Thaïlande et de Malaisie défrichent les terres et brûlent les déchets agricoles en dépit des restrictions imposées en la matière. Ces feux contribuent à hauteur de 30% des émissions liées à l’activité humaine, et sont à l’origine du brouillard permanent qui affecte la région chaque saison sèche.
Les populations des pays pauvres ou à revenus moyens ont tendance à être plus exposées aux polluants tout en ayant peu accès à des service de santé efficients. La conséquence est une très grande inéquité sanitaire (possibilité de chacun à avoir accès à de meilleurs soins quels que soient ses revenus, sa race, son genre ou son âge). Or l’équité sanitaire constitue une variable critique dans la perspective d’une croissance et d’un progrès pérennes.
Mais comme le changement climatique, la pollution de l’air est une menace transnationale : pas un seul pays ne répond aux normes de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) en termes de qualité de l’air. Les habitants de Singapour gagneraient en moyenne 3,8 années d’espérance de vie si la qualité de l’air de la ville était conforme aux recommandations de l’OMM.
Heureusement, des initiatives pour réduire la pollution de l’air peuvent être prises presque immédiatement. Un nombre important de recherches sont menées, qui ont constaté des chutes significatives des taux de pollution de l’air par particules fines ou dioxyde d’azote au cours des mois pendant lesquels les usines étaient à l’arrêt et les populations confinées.
Renforcer l’action contre les menaces sanitaires du changement climatique ne peut plus attendre. Au-delà des données incontestables concernant la pollution de l’air d’origine humaine, il ne faut pas négliger ses conséquences financières exorbitantes. Greenpeace estime que le coût de la pollution atmosphérique mondiale représente 8 milliards de dollars par jour, soit 3,3 % du PIB planétaire, que ce soit en termes de dépenses de santé ou de perte de productivité.
La Chine et l’Inde, à elles seules, supportent un coût de plus d’1 trillion de dollars chaque année ; de leur côté, presque tous les pays d’Asie du Sud-Est doivent faire face à des coûts représentant en moyenne plus de 2 % de leur PIB.
Outre les objectifs climatiques à long terme, les gouvernements et les entreprises devraient donc chercher des solutions pratiques qui limiteraient concrètement les émissions, notamment grâce à des politiques anticipatrices et des investissements immédiats.
L’Asie semble avoir reçu le message. En 2021, la région est passée devant l’Europe en matière de mise en œuvre de projets destinés à réduire la pollution, avec des investissements multipliés par 4 par rapport à l’année précédente, pour atteindre les 56 milliards de dollars.
Ces investissements comprennent des mesures gouvernementales telles que des prêts écologiques subventionnés à Singapour, ou l’initiative de la Banque Populaire de Chine qui propose des prêts à taux réduits aux entreprises engagées dans des énergies propres comme le solaire ou l’éolien.
Bien qu’elle soit le plus grand pollueur de la planète, la Chine offre l’exemple d’un gouvernement réduisant de façon drastique ses émissions à travers un ensemble de mesures de politique publique. La guerre contre la pollution
, déclarée en 2014 par le Premier ministre Li Keqiang, s’est soldée par une réduction de 40 % de la pollution globale du pays en 2020 par rapport aux chiffres de 2013.
Parmi ces mesures, on trouve la restriction du nombre de voitures en circulation dans les grandes villes, l’optimisation de l’activité des industries d’Etat, et des normes réglementaires interdisant la construction de nouvelles centrales à charbon dans certaines régions.
De telles mesures drastiques ne seront pas applicables dans tous les Etats mais, comme l’a démontré le ralentissement économique de 2020, la jugulation de l’activité industrielle donne des résultats rapides et tangibles en matière de réduction de la pollution.
Au-delà des gouvernements, les assureurs peuvent également jouer un rôle dans la prise en compte de la pollution de l’air et du changement climatique, en réduisant leurs capacités de souscription pour les industries fondées sur le charbon ou le pétrole, ce qui limiterait la marge de manœuvre des entreprises polluantes.
Des initiatives de cet ordre sont en cours, à l’instar de la Net-Zero Insurance Alliance, initiée par les Nations unies et présidée par AXA, qui rassemble 20 assureurs de premier ordre à travers le monde, engagés dans la décarbonisation de leurs portefeuilles à l’horizon 2050.
Les entreprises doivent regarder au-delà de la perspective limitée des retours sur investissements dans des secteurs polluants comme le charbon, pour comprendre combien le changement climatique et la pollution de l’air soulèvent de plus grands enjeux pour l’ensemble de leur activité, depuis les catastrophes naturelles jusqu’à l’assurance des biens, en passant par la santé. Envisager ces impacts sur notre qualité de vie contribuera à stimuler de nouveaux comportements dans toute la société.
Réduire les émissions et améliorer l’équité sanitaire exigera des actions efficaces et des investissements significatifs. Les gouvernements et les entreprises devront agir main dans la main, de façon concertée, pour non seulement voir la qualité de l’air s’améliorer, mais aussi pour garantir l’égalité de tous en matière de santé – ce qui va bien au-delà de l’objectif à long terme du net-zéro.