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27 août 2019

Le triomphe de la longévité

Dani Saurymper, gestionnaire de portefeuille et responsable de la recherche sur la longévité chez AXA IM, Framlington Equities & Thomas Kirkwood, doyen associé de l'Institut du vieillissement et de la santé à l’université de Newcastle.

Longévité

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Contenu original : AXA IM

Éléments de synthèse :

  • Pendant la majeure partie des deux derniers siècles, l’amélioration de l’espérance de vie provenait de la baisse du taux de mortalité des personnes jeunes et d’âge moyen. Mais depuis ces dernières décennies, on constate plutôt l’amélioration et l’allongement de la vie des personnes plus âgées, ce qui tend à prouver que le vieillissement est un processus plus malléable qu’on ne le pensait jusqu’ici.
  • Le plus important n’est pas tant le nombre d’années que l’on a à vivre, mais bien plutôt dans quel état de santé nous les vivrons.
  • À mesure que les populations vieillissent, il devient impératif de repenser l’archétype traditionnel des trois âges de la vie.

Dani Saurymper, gestionnaire de portefeuille et responsable de la recherche sur la longévité chez AXA IM – Framlington Equities, et le professeur émérite Thomas Kirkwood, doyen associé de l’Institut du vieillissement à l’université de Newcastle, évoquent le triomphe du vieillissement, les sciences liées à ce phénomène et ses impacts sur l’ensemble de la société.

Dani Saurymper : L’espérance de vie a beaucoup augmenté au cours des 100 dernières années. Quelles sont les tendances que l’on peut observer en termes de longévité ?

Tom Kirkwood : L’augmentation de l’espérance de vie est une victoire de l’Homme. Depuis que nous sommes sur Terre, nous essayons de contourner la mort, et nous nous sommes énormément améliorés dans ce domaine. Dans les pays à revenu élevé, l’espérance de vie a réellement commencé à augmenter il y a environ 200 ans. Au cours des deux derniers siècles, nous l’avons vue augmenter de deux à deux ans et demi tous les dix ans. C’est une évolution spectaculaire, qui se répercute sur tous les aspects de notre vie, sur la société en général et même sur le monde des affaires.

Il y a 30 ou 40 ans seulement, personne ne s’attendait à vivre ce que nous vivons aujourd’hui. À cette époque, si l’espérance de vie avait augmenté de façon régulière, elle avait atteint ce niveau principalement grâce à la baisse du taux de mortalité chez les jeunes et chez les personnes d’âge moyen. On supposait implicitement qu’il devait y avoir une limite à la durée d’une vie humaine, mais ce qui est frappant c’est que, depuis 30 ou 40 ans, l’allongement de l’espérance de vie a une toute autre raison : la baisse du taux de mortalité chez les personnes âgées. 

Cela nous amène à ce constat très intéressant : le vieillissement n’est pas « gravé dans la pierre » d’un point de vue biologique. C’est un processus beaucoup plus malléable qu’on ne le pensait. D’une certaine manière, nous tentons toujours de rattraper notre retard en matière de recherche, afin de comprendre d’où provient cette malléabilité et jusqu’où nous pourrions aller dans ce domaine, pour essayer de donner du sens à un monde dans lequel nous devenons de plus en plus âgés.

Dani Saurymper : Dans les pays à revenu élevé, des données récentes pourraient suggérer que le vieillissement a atteint un plafond. Sommes-nous sur le point de toucher aux limites de la longévité humaine ?

Tom Kirkwood : Je ne crois pas que nous ayons atteint ces limites, et je doute même que ces limites existent. Se représenter la durée de vie maximale, c’est un peu comme lors d’un exploit sportif : en combien de temps peut-on courir le 1 500 mètres ? Le 100 mètres ? L’athlétisme deviendrait un sport ennuyeux si toutes les limites avaient déjà été atteintes, s’il n’y avait plus aucune chance de battre un record du monde. Il en va de même pour la longévité humaine, même si bien sûr, comme en sport, les records les plus difficiles à battre prennent plus de temps pour être battus, avec des paliers un peu plus lents à chaque fois. Toutefois, je ne pense pas qu’il faille prendre en compte l’existence de limites intrinsèques à la longévité humaine, qui selon moi ne va faire qu’augmenter.

Dani Saurymper : L’un des concepts qui commencent à gagner du terrain dans les discussions autour de la longévité est la notion de « durée de santé » (healthspan, par opposition à lifespan, « durée de vie » - ndlt). Pourriez-vous expliquer la différence entre durée de vie et durée de santé ?

Tom Kirkwood : Nous savons que notre durée de vie augmente. En revanche ce qui nous intéresse vraiment à mesure que nous vieillissons c’est notre état de santé, dont la qualité nous permettra de profiter pleinement de ces années supplémentaires. On parle maintenant du concept de « durée de santé », qui désigne concrètement le nombre d’années en bonne santé incluses dans notre durée de vie. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que nous voulons avant tout maximiser notre durée de vie ; mais gagner un peu de durée de santé serait un bonus appréciable.

Dani Saurymper : La science commence-t-elle à nous permettre d’identifier ou d’isoler certains facteurs génétiques en rapport avec la durée de vie et de santé ?

Tom Kirkwood : On pense depuis longtemps que si l’on est issu d’une famille où l’on vit très vieux, cela augmente nos propres chances de vivre longtemps et en bonne santé, et il est clair que c’est le cas. Cependant, après analyse, nous savons désormais que nos gènes représentent environ un quart de ce qui déterminera la durée probable de notre vie. La nature de ces gènes a fait l’objet de nombreuses recherches qui, jusqu’ici, se sont révélées plutôt infructueuses et frustrantes – probablement pour la raison (et l’on aurait sans doute pu s’en douter) que ce n’est pas un seul gène, ni même un petit groupe de gènes, qui détermine la durée de vie, mais un très grand nombre de gènes, ce qui rend le signal plus difficile à détecter.

Dani Saurymper : Concernant la vieillesse, je pense qu’il est important de bien faire la distinction entre une personne de 60/65 ans et une de 85 ans, car leurs besoins, leurs désirs et leurs conditions sont bien entendus très différents. Par simple curiosité, d’après votre étude sur les plus de 85 ans, pourriez-vous nous décrire à quelles situations bien particulières est confrontée cette population ?

Tom Kirkwood : Tout d’abord, les personnes qui ont aujourd’hui 85 ans ont vécu près d’un siècle, au cours duquel l’espérance de vie a été allongée de deux ans chaque décennie. Lorsqu’on dit que les octogénaires sont les nouveaux soixantenaires, il y a un élément de vérité dans cette affirmation, car ce sont des gens dont l’espérance de vie au moment où ils sont nés était quinze ans plus courte qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est le cas pour nos parents et pour nos grands-parents. Les personnes de 75 ans semblent jouir d’une meilleure santé aujourd’hui que les celles qui avaient 65 ans il y a quelques dizaines d’années, et ce processus se poursuit. C’est un immense changement. En discutant avec des personnes âgées, on se rend compte qu’elles sont souvent surprises par ce qui leur arrive, qu’elles ne s’attendaient pas à ce que leur vie à cet âge soit ce qu’elle est. Leurs horizons changent, tout comme leurs attentes et leurs aspirations. L’un des défis majeurs auxquels notre société est confrontée consiste à appréhender l’immense variété de ces défis.

Pour tirer le meilleur parti de cet allongement de la durée de vie, nous devons aussi nous efforcer d’améliorer les capacités de nos aînés et de mettre à profit ce que nous avons appelé, lors de nos précédentes recherches, le « capital mental » des personnes âgées. Aujourd’hui, lorsque vous arrivez à l’âge de la retraite, vous êtes en quelque sorte mis au rebut de la société et plus personne ne s’intéresse vraiment à vous, ce qui n’est pas très bon pour l’estime de soi. Nous devrions chercher ce qu’il est possible de faire pour dynamiser tous ces changements liés à la fin de vie, aujourd’hui si différente d’il y a un demi-siècle. Autrefois, la mort avait des causes souvent bien spécifiques, la maladie vous emportait alors que votre corps était plutôt en bonne forme. Aujourd’hui, la mort intervient souvent dans un contexte de multimorbidité, lorsque plusieurs éléments se mettent à dysfonctionner au même moment. Cela fait une grande différence.

Dani Saurymper : Quand on pense au modèle traditionnel qui prévalait à une époque (études, puis marché du travail, puis grosso modo mise au rancart à 65 ans), estimez-vous qu’il soit toujours adapté à notre société moderne ?

Tom Kirkwood : Il est absolument nécessaire de repenser le concept du « chemin de vie ». Nous avons tous grandi avec ce modèle archaïque qui consistait à aller à l’école, puis à l’université, à trouver un travail aux environs de la vingtaine, travail qu’on ne quittait plus jusqu’à l’âge traditionnel de la retraite, entre 60 et 65 ans, puis on était en vacances jusqu’à ce qu’on tombe malade et qu’on meure. Maintenant que l’espérance de vie s’allonge (et, espérons-le, la durée de santé également), nous savons qu’il faut profondément repenser tout cela, car notre existence couvre désormais une très longue période. Nous avons bien sûr besoin de recevoir une éducation au début de notre vie, mais elle devrait être intégrée tout au long de notre existence, jusque dans les dernières années. Il est fondamental de remodeler notre vision de la retraite, des modèles de travail, et même des professions en elles-mêmes. Combien de métiers, aujourd’hui, ne sont plus pertinents parce que la technologie ou l’organisation de la société a changé ?

Nous devons envisager ce chemin de vie rallongé avec de nouvelles capacités de réflexion et de flexibilité, qui nous permettront d’optimiser au mieux ce triomphe de l’homme que représente l’augmentation de la durée de vie.

Dani Saurymper : Le vieillissement va constituer le plus grand défi socioéconomique du XXIe siècle, et pourtant je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un vrai débat ou un dialogue ouvert sur les implications de la médecine moderne dans l’allongement de la durée de vie, voire de la durée de santé qui lui est liée. Comment faire en sorte que le sujet du vieillissement soit pertinent aux yeux des gens, aujourd’hui ? Comment leur faire prendre conscience qu’il est important de s’y intéresser aujourd’hui plutôt que dans 20 ou 30 ans, au moment où le nombre des plus de 65 ans sera devenu assez monumental ?

Tom Kirkwood : L’allongement de l’espérance de vie est pour beaucoup d’entre nous une source d’inquiétude. Le « vieillissement de la population » serait soi-disant responsable de tous les problèmes économiques du pays, de l’augmentation des coûts de santé, voire de tout ce qui augmente. Ce qui se passe avec l’espérance de vie, c’est un peu comme un énorme cargo ou un pétrolier naviguant sur l’océan. Il suit un chemin, son itinéraire est assez prévisible. Si nous sommes à la barre d’un navire de ce type, nous savons qu’il est beaucoup plus facile de le diriger par anticipation, c’est-à-dire en faisant légèrement tourner le gouvernail puis en le laissant jouer par lui-même. Il faut absolument s’éloigner de la tendance qui vise à opposer une génération à une autre. Nous ne voulons surtout pas créer une société dans laquelle les personnes âgées seraient dénigrées simplement parce qu’elles sont toujours en vie, alors que vivre longtemps est ce que nous désirons tous, au fond.

Dani Saurymper : Vous avez évoqué la science et ses progrès, ainsi que notre meilleure compréhension du processus de vieillissement. Quelles sont les données qui pourraient nous aider à changer de cap, pour poursuivre sur votre analogie avec le pétrolier ?

Tom Kirkwood : C’est l’accumulation de diverses détériorations qui est au cœur du processus de vieillissement. Beaucoup d’entre elles sont tout simplement le sous-produit de la chimie de la vie quotidienne. Nos cellules ont besoin d’oxygène pour produire l’énergie nécessaire à notre corps. Mais l’oxygène est un élément chimique dangereux, qui provoque en continu du stress et des dégâts oxydatifs à l’intérieur des cellules et des molécules du corps. Il y a deux données qui détermineront votre état de santé : tout d’abord, votre capacité à empêcher ces dégradations de se produire, et c’est là qu’entrent en jeu les géroprotecteurs, des agents dont le rôle est de combattre ce genre de détériorations. La deuxième donnée concerne votre aptitude à réparer les dégâts ; autrement dit, si des cellules ou des tissus sont endommagés, dans quelle mesure pouvez-vous restaurer leurs fonctions ? Ce qui nous amène au cœur du sujet de la thérapie cellulaire, par exemple, l’idée étant d’essayer de remplacer les cellules qui ne peuvent plus jouer correctement leur rôle par d’autres qui n’ont pas été détériorées.

Si des progrès ont été faits dans le domaine de la science du vieillissement, nous nous devons d’être honnêtes en tant que scientifiques : ce que nous pouvons expérimenter en laboratoire ou sur des animaux dont la durée de vie est courte peut apporter la preuve que cela fonctionnerait peut-être sur les humains, mais il faut reconnaître que les humains vivent déjà très longtemps. Ce que nous essayons de faire, pour utiliser une métaphore automobile, c’est d’obtenir de meilleures performances à partir d’une voiture déjà haut de gamme.

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