26 mars 2021
Ecrit par Christelle Castet, Climatologist at AXA Climate
6 minutes
En février 2021, le Texas a connu une série de vagues de froid qui ont battu des records historiques dans de nombreuses villes, avec des températures allant jusqu'à -13°C à Austin, -15°C à Dallas et un incroyable -23°C à Amarillo. Ces conditions glaciaires ont duré une semaine entière, avec des températures moyennes relevées dans tout l'État bien en dessous des minimales de saison, autour de 5,7°C (document 1).
Les hivers sont généralement relativement doux dans le sud et le centre du Texas, les températures minimales moyennes étant supérieures au seuil de gel (document 2). Par conséquent, les infrastructures de l'État n’étaient pas adaptées pour résister à ce froid extrême.
Document 1 : Température minimale moyenne au Texas du 10 au 19 février 2021 (Source : ERA5 Copernicus (1))
Document 2 : Moyenne des températures minimales quotidiennes au mois de février au Texas entre 1991 et 2020 (Source : ERA5 Copernicus (1))
Lorsque la masse d'air polaire s'est déplacée au Texas et que les températures ont plongé bien en dessous du seuil de gel (document 3), les infrastructures d'eau et d'électricité ont été paralysées. Les puits et les tuyaux de gaz naturel ont commencé à geler, ce qui a perturbé la production d'électricité dans tout le Texas, qui dépend principalement du gaz naturel pour son alimentation électrique. Comme la production a chuté et que la demande d'électricité a augmenté, la commission de fiabilité électrique du Texas (Electric Reliability Council of Texas) a dû mettre en place des coupures contrôlées, plongeant des millions de Texans dans le noir. Les coupures de courant ont provoqué des défaillances en cascade sur les équipements de mesure et de contrôle tout au long de la chaîne de production de gaz. Les pannes ont également touché les installations de traitement de l'eau qui ne pouvaient plus produire d'eau potable. Outre le manque d'eau potable, les ruptures de canalisations et le gel des puits ont entraîné une crise de l'eau qui a duré plusieurs jours. D'après les agences de modélisation des catastrophes, cet événement pourrait entraîner des pertes assurées de 10 à 20 milliards de dollars.
Document 3 : Température de l'air en surface le 15 février 2021. (Crédit : données GEOS-5 du Global Modeling and Assimilation Office, NASA GSFC)
Des épisodes de froid extrême peuvent se produire lorsque le vortex polaire, une zone de basse pression située à haute altitude au-dessus de l'Arctique, est perturbé par des phénomènes météorologiques dans la partie inférieure de l'atmosphère (document 4). Cette perturbation entraîne un ralentissement des vents forts autour du vortex polaire et une augmentation des températures à une altitude de 30 km au-dessus du pôle, un mécanisme appelé réchauffement stratosphérique soudain (SSW pour Sudden Stratospheric Warming). Ce phénomène affaiblit à son tour le courant-jet (jet stream), un courant d'air étroit et rapide qui sépare les masses d'air froid, situées au-dessus des régions polaires, des masses d'air plus chaud au sud. Cet effet de ralentissement du jet stream permet à l'air froid de l'Arctique de se déplacer vers le sud, créant ainsi des vagues de froid plusieurs semaines après le début du SSW.
Ce phénomène peut également provoquer des épisodes de froid extrême en Europe, comme au début du mois de février au Royaume-Uni où les températures sont descendues jusqu'à 23°C à Braemar (Écosse). Ou encore en 2018 lorsque la bête de l'Est
a sévi pendant dix jours, entraînant une chute des températures de 10°C sous la moyenne saisonnière, ou en 2012 lorsque la vague de froid a duré treize jours en France avec des températures atteignant localement -18°C.
Document 4 : Affaiblissement du vortex polaire (Source : NOAA)
Au cours des 62 dernières années, les SSW se sont produits en moyenne six fois par décennie, mais leurs conséquences sur notre climat pouvaient être très différentes d'un événement à l'autre. Le Texas a déjà été touché par des épisodes de froid intense en février 2011 et en décembre 1989, comme le rapportent la Commission fédérale de régulation de l'énergie (Federal Energy Regulatory Commission) et la Commission de fiabilité électrique nord-américaine (North American Electric Reliability Commission). Les modèles existants peuvent prédire les SSW au maximum deux semaines à l'avance. Les signes de cet événement particulier sont apparus début décembre 2020 au-dessus du pôle Nord, lorsque les températures ont commencé à augmenter au-dessus de l'Arctique et que les vents autour du vortex polaire ont commencé à diminuer. Il a ensuite fallu plus d'un mois avant que les impacts se fassent sentir en surface sur notre climat.
Une étude récente (2) a montré qu'il existe encore une grande incertitude quant à la modification de la fréquence de SSW de l'hémisphère nord en cas d'augmentation des concentrations de dioxyde de carbone. Mais d'autres études révèlent qu'il y a eu une augmentation récente de la fréquence des états de vortex faibles (3) pouvant conduire à des épisodes de froid extrême.
Ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est que les modèles climatiques ne s'accordent pas (4) sur la manière dont un climat globalement plus chaud pourrait favoriser l'apparition de ces vagues de froid extrême à l'avenir. L'un des mécanismes actuellement à l'étude concerne l'accélération rapide du réchauffement de l'Arctique par rapport aux latitudes inférieures. Ce réchauffement réduit en effet le différentiel de température entre les pôles et l'équateur, ce qui pourrait diminuer la force du jet stream et donc accentuer sa sinuosité, amenant des masses d'air froid sur nos latitudes. Un autre mécanisme étudié tient à la fonte de la glace de mer de la région arctique, qui peut renforcer les systèmes de pression atmosphérique et affecter le vortex polaire.
Les incertitudes des modèles climatiques concernant l'augmentation potentielle de la fréquence des vagues de froid extrême sont importantes à prendre en compte lors de la conception ou de l'adaptation des infrastructures. Elles ont poussé le gouverneur du Texas, Greg Abbott, à demander la transformation des infrastructures électriques du Texas afin de les rendre plus résilientes en cas de futures vagues de froid polaire. Il est certain qu'il ne suffit plus de se reposer uniquement sur les données climatiques passées lorsqu'il s'agit d'adapter les infrastructures aux nouveaux risques climatiques.
Pour plus d'informations, contactez Christelle Castet, climatologue chez AXA Climate, christelle.castet@axa.com.
Sources:
(1) Hersbach, H.,Bell, B., Berrisford, P., Biavati, G., Horányi, A., Muñoz Sabater, J., Nicolas,J., Peubey, C., Radu, R., Rozum, I., Schepers, D., Simmons, A., Soci, C., Dee,D., Thépaut, J-N. (2018): ERA5 hourly data on pressure levels from 1979 topresent. Copernicus Climate Change Service (C3S) Climate Data Store (CDS). (Accessedon <28-02-2021>), 10.24381/cds.bd0915c6
(2) Domeisen, D. I. V. (2019). Estimating the frequency of sudden stratospheric warmingevents from surface observations of the North Atlantic Oscillation. Journal of Geophysical Research: Atmospheres,124, 3180– 3194.
(3) Kretschmer, M., Coumou, D., Agel, L., Barlow, M.,Tziperman, E., & Cohen, J. (2018). More-Persistent Weak Stratospheric PolarVortex States Linked to Cold Extremes, Bulletin of the AmericanMeteorological Society, 99(1), 49-60.
(4) Ayarzagüena, B., Charlton‐Perez, A. J., Butler, A. H., Hitchcock, P., Simpson, I. R., Polvani, L. M., et al. (2020). Uncertainty in the response of sudden stratospheric warmingsand stratosphere‐tropospherecoupling to quadrupled CO2 concentrationsin CMIP6 models. Journal ofGeophysical Research: Atmospheres, 125, e2019JD032345.